L'Ausbund est un trésor méconnu : un très vieux recueil de chants anabaptistes, remontant au XVIe siècle. Édités de nombreuse fois, d’abord en Europe puis en Amérique du Nord, ces « chants des prisons » représentent selon Claude Baecher de « véritables “Täufer-Spirituals” écrits dans l’adversité, dont le but est le témoignage et l’encouragement mutuel ».
Une première version de l’Ausbund a vu le jour parmi les Frères suisses et a été imprimée en 1564 : elle réunit une cinquantaine de chants composés par des anabaptistes durant leur emprisonnement à Passau, ville bavaroise sur le Danube.
Les anabaptistes emportèrent ensuite cette collection dans leurs pérégrinations à travers l’Europe. La première édition dont le titre commence par Ausbund (« sélection ») date de 1583, considérablement agrandie puisqu’elle compte 130 hymnes.
Dès 1692, ce livre de chants fut interdit par les autorités bernoises. En Suisse et ailleurs en Europe, il fut néanmoins utilisé encore jusqu’au XIXe siècle, avant d’être supplanté par d’autres recueils.
Les dernières éditions comptant 140 chants au total sont publiées en Amérique du Nord (les plus récentes dans les années 2010), où l’Ausbund reste en usage dans les communautés amish. Cela en fait l’un des plus anciens recueils de chorals encore en vigueur aujourd’hui !
UNE INTERROGATION POUR AUJOURD'HUI
S’il ne donne quasiment aucune indication musicale – l’Ausbund ne contient pas de partitions, les hymnes étant simplement entonnés sur des mélodies populaires de l’époque –, ses textes, eux, interpellent. Les mennonites d’aujourd’hui ne le connaissent plus forcément. Nous avons récemment eu l’occasion d’en revisiter des extraits avec le chœur Menno Canto, dans le cadre du projet Boom Boom Harmonioom.
Ces concerts réinterprétaient plus particulièrement le 17e chant de l’Ausbund. Celui-ci relate l’histoire de deux femmes, Mary et Ursel Beckom (ou Maria et Ursula van Beckum), condamnées aux Pays-Bas pour leurs convictions anabaptistes. Pourquoi avoir choisi ce chant ? Un peu par hasard, parmi les 140 que compte le recueil. D’autre part, il nous semblait opportun de retenir un récit consacré à des figures féminines.
Avons-nous un intérêt à redécouvrir un chant comme celui-ci ? Assurément, en premier lieu pour connaître notre propre histoire. Faut-il pour autant le chanter encore tel quel ? Peut-être. Peut-être pas. Cela ne paraît pas évident : tant le langage que le contenu portent la trace de leur époque. La thématique du martyr, notamment, ne va pas de soi aujourd’hui.
Et pourtant, le chant pose des questions d’une actualité totale, et là réside peut-être son intérêt primordial : quelle est la valeur de la liberté de croyance et de conscience ? Que représente et implique réellement la non-violence ?
TRADUCTION DES PAROLES
Voici une traduction française très résumée de ce 17e chant de l’Ausbund (l’original compte 42 strophes de 9 vers chacune !), telle que nous l’avions proposée pour le sur-titrage des concerts Boom Boom Harmonioom.
3. C’est une jeune femme, Mary Beckom de nom,
touchée par la vraie grâce, recherchée aussitôt.
4. Une troupe nombreuse dès lors fit irruption
en pleine nuit, en armes, dans la maison Beckom.
5. Saisie, la jeune femme violentée supplia
l’épouse de son frère: «Viens, reste auprès de moi!»
6. «Jamais ne t’abandonne», lui répondit Ursel;
voici la noble femme arrêtée avec elle.
8. Prenant sur elle sa peine, car l’amour est plus fort
que tout en ce bas monde, que l’enfer et la mort.
11. Amenées à Deventer pour interrogatoire...
12. «Tenons à la Parole de Dieu et non des hommes.»
13. Arriva Peter Grebel afin de les instruire
sans cas des Écritures dont il se souciait peu.
14. Il devint fou de rage, ne put les convertir,
cria: «Qu’on les condamne, au feu, de suite au feu!»
15. «Dieu nous a rendues dignes de souffrir, louons-le.»
16. Fur’nt envoyées à Delden, où les interrogea
de la cour de Bourgogne, un commissair’ pour voir…
…si elles tenaient au rebaptême?
17. «Oh non, un seul baptême nous connaissons en Christ.»
25. En ce mois de novembre, ligotées, enfermées,
Mary et Ursel furent toutes deux condamnées.
28. «S’aimer les uns les autres, la paix, notre espérance
Aube de ce Royaume où nous serons bientôt.»
31. Mary, à genoux, seule, pria: «Dieu, aie pitié.»
Puis on la vit d’elle-même sauter sur le bûcher.
33. Le bourreau fut obscène, Mary s’y opposa:
«Mon corps ne vaut la peine de jurer, repens-toi.»
34. Ainsi s’est-elle éteinte, mais elle vit en paix.
L’Église s’en réjouit!
35. Ursel dans la détresse ne se détourna point.
«Qu’auprès de Dieu je reste jusqu’à ma propre fin.»
42. Ainsi, pour notre exemple, sont mortes toutes deux.
(Trad. et adapt. Vital Gerber)
Quelques références :
Claude Baecher, « L’Ausbund ou chants des prisons. Introduction, analyse et traduction des avant-propos », in : Mennonitica Helvetica 15/16, 1993, pp. 170-196
Robert Friedmann, « Ausbund », in : Global Anabaptist Mennonite Encyclopedia Online
Projet Boom Boom Harmonioom : www.mennocanto.ch
Pour aller plus loin :
- Vidéo du spectacle de Menno Canto BOOM BOOM HARMONIOOM (2018)