Le culte est l’activité la plus fréquente et la plus fréquentée de l’église. Ce que l’on y fait et comment on le fait ne peut dépendre de préférences personnelles uniquement… ou comment mettre Dieu au centre ! Interview avec Janie Blough qui termine une thèse sur le culte, et qui est l’auteur du dernier Dossier de CHRIST SEUL sur ce thème.
Dans les cours que tu donnes, tu proposes aux étudiants de chronométrer la durée des lectures bibliques pendant tout un culte. Quels sont globalement les résultats et qu’en penser ?
J’ai fait cela pour la première fois. à la formation „ Bible en live “ au Bienenberg récemment. Les résultats se situaient, sans compter la lecture de textes bibliques pour la prédication, entre 1 et 3 minutes environ. Les étudiants ont estimé que le temps d’annonces en moyenne était lui de près de 10 minutes.
L’exercice peut contribuer à une prise de conscience : nous affirmons que la Bible est importante, mais quelle place réelle a-t-elle dans nos cultes ? L’Ecriture doit donner son contenu au culte chrétien, ce n’est pas négociable. Elle exprime l’histoire divine, notre histoire. Elle montre l’amour de Dieu et la rédemption en Christ. Un historien du protestantisme, Roland Bainton, a écrit : „ De tous les groupes de la Réforme, les anabaptistes étaient le groupe le plus scripturaire “. Est-ce encore le cas ?
Les annonces expriment la vie communautaire de l’assemblée et ont donc leur place dans le culte. Si on ne désire pas en diminuer la durée, il faut trouver les moyens d’augmenter le temps pour la Bible, de différentes manières.
Alors comment mieux (re)donner sa place à la Bible sans tomber dans la monotonie ou susciter l’ennui ?
D’abord, il faut choisir des personnes qui ont un don pour lire la Bible à haute voix en public. Donner à quelqu’un un texte à lire juste avant le début du culte est un manque de respect envers la personne et envers la Bible. On ne demande pas non plus, juste avant le début du culte, à quelqu’un de chanter en solo. La personne doit pouvoir se préparer, lire ce qui précède et ce qui suit, prier.
Ensuite, on peut explorer différentes manières de communiquer les textes bibliques : par un mime ou un sketch pendant la lecture, par un choeur parlé inspiré du texte biblique, par des images ou des dessins qui illustrent un texte…
Et puis, on peut recourir aux textes bibliques pour introduire un chant, pour la bénédiction, pour la louange, les dire comme des prières ; les psaumes peuvent être entrecoupés par un chant ou par des prières spontanées.
L’assemblée peut aussi dire ensemble le texte biblique affiché, ou répondre à des parties prononcées par la personne qui préside le culte. Autres idées : une voix off ou une narration, par quelqu’un raconte le texte par cœur, comme une histoire.
Si l’on est déterminé à donner davantage de place à la Bible dans le culte, on peut faire usage de la créativité présente dans l’assemblée.
Que répondrais-tu aux personnes qui diraient que tes thèses sur le culte mettent trop d’accent sur le rôle humain dans le culte (une structure souple en quatre parties, prier, chanter, écouter la Parole de Dieu) et pas assez sur les manifestations de Dieu quand son Eglise est rassemblée ?
Il ne faut pas perdre de vue que Dieu est seul l’initiateur du culte. Tout commence par lui : ce que nous faisons est notre réponse à son amour et à la rédemption en Jésus-Christ. Et il faut s’interroger : écouter la Parole de Dieu, prier, chanter, est-ce que cela ne fait pas partie des manifestations de la présence de Dieu (cf. Ac 2.42-46) ?
Quant à la structure du culte, il ne faut pas se leurrer, il y en a toujours une ! La question devient alors : est-ce une bonne ou mauvaise structure ? Quelle structure favorise la rencontre avec Dieu, un dialogue entre Dieu et son peuple ? Dieu nous parle, nous répondons. Ce modèle permet à tout style de s’exprimer et favorise à la fois la spontanéité et l’ordre.
On parle de styles d’écriture et de musique ; de même, le style du culte, c’est la manière dont une communauté exprime le contenu du culte. Une structure légère, non contraignante, facilite le déroulement du culte, selon le principe suivant : ce que nous faisons doit servir à construire la communauté (cf. 1 Co 14).
Dans la mesure où elles servent à édifier la communauté, les manifestations en question peuvent être intégrées dans la structure en quatre parties (se rassembler ; écouter la Parole de Dieu ; répondre à la Parole de Dieu ; être envoyé). Cette structure apporte de l’ordre, tout en laissant beaucoup de liberté.
Quel est le rôle des personnes qui animent ou président un culte ou une partie du culte ? Quel but doivent-elles viser ? Qu’est-ce qui est à éviter ?
La communauté se rassemble pour louer Dieu et être édifiée. La présidence du culte a pour fonction de faire participer la communauté dans son ensemble, afin qu’elle adore Dieu et qu’elle soit construite.
La personne qui anime ou préside le culte ne doit pas se mettre en avant, mais aider l’assemblée à vivre dans la présence de Dieu et les uns avec les autres. La personne qui préside le culte doit porter un souci pastoral : bien connaître la communauté, connaître les besoins musicaux des uns et des autres. Présider, ce n’est pas proposer un spectacle, ce n’est l’oeuvre d’une ou deux personnes et d’un groupe de musiciens, mais c’est faire en sorte que tous soient intégrés et puissent participer.
La préparation commence dans la prière, dans la lecture des Ecritures, dans la réflexion sur les besoins spirituels de l’ensemble de l’assemblée. Il ne s’agit pas de penser à ses propres préférences, mais aux besoins de l’assemblée. Cela se manifeste par exemple par le choix des chants. Selon Harold Best, professeur à Wheaton College, il s’agit d’„ être des musiciens pastoraux “, qui pensent à l’assemblée, pas à leurs préférences personnelles.
La « louange » dans nos Eglises consiste souvent à écouter une personne parler d’elle et de ses expériences avec Dieu, paroles entrecoupées de chants. Qu’en penses-tu ? Que proposerais-tu ?
Les témoignages ont leur place dans le culte, qu’ils soient spontanés ou préparés. Mais les témoignages sont des réponses personnelles à ce que Dieu a fait. Il est bon de faire d’abord place à ce que Dieu a fait. Le d
anger, c’est que nous parlions de nous, que nous répondions, sans avoir écouté le Seigneur tout d’abord, par les Ecritures et la prédication.
La louange elle-même est en fait une réponse à Dieu. En louant le Seigneur, nous disons ce qu’il est et fait. Voilà ce qui provoque notre louange, ce qui provoque notre réponse ! Rappelons-nous : le Seigneur est au commencement du culte. Notre louange est une réponse à la révélation de Dieu en Christ.
La louange est d’ailleurs davantage qu’un « moment de louange » : l’offrande par exemple est une expression de louange, car nous redonnons à Dieu ce qui lui appartient. De même, plutôt que parler de « groupe de louange » au sens restreint, il faudrait dire que l’assemblée est le groupe de louange. Le groupe des musiciens a pour fonction d’aider l’assemblée entière à louer le Seigneur.
Dans la Bible et dans le culte des Eglises primitives, on constate qu’il y a près de 30 éléments qui composent le culte, comme les lectures de l’Ecriture, les signes et prodiges, les prières communes, la prière d’intercession, la confession de péché et la réconciliation, la confession de foi, les formules de salutation et de bénédiction, le baiser de paix, les prophéties, révélations et leur discernement, les guérisons, l’offrande… Il est dommage de réduire cette diversité à un « temps de louange ».
La louange comme forme du culte est très présente dans l’ensemble du monde évangélique, avec le répertoire de chants de Jeunesse en Mission. Quelles sont les forces et les faiblesses de cette manière de célébrer ?
Parmi les forces, on peut mentionner l’accent sur l’aspect festif du culte, pour en faire une célébration ; les cultes sont moins tristounets… L’accent porte souvent sur le Christ victorieux du mal, de la mort…
Globament, les chants de Jeunesse en Mission favorisent l’intimité avec Dieu. Selon certains, ils permettent d’entrer dans la présence de Dieu, et de se préparer à l’écoute de la prédication.
Ce culte joyeux est bienvenu. Mais la vie n’est pas toujours joyeuse ! Qu’en est-il de la tristesse, de la souffrance, des maladies et des émotions qui leur sont liées ? Nous avons besoin de chants qui expriment toutes les situations de la vie. S’il n’y a pas de chant sur la mort par exemple, est-ce à dire que l’on n’a pas le droit de mourir ?!
Une autre faiblesse de ces chants est l’accent mis sur l’individu, subjectivement : „ Je veux te louer “, „ je célèbre “…. Cela a sa place, mais doit être complété par des chants qui déclarent ce que Dieu a fait, et par des chants en „nous“, pour rappeler que le chrétien individuel est intégré à l’Eglise.
Le rythme de certains chants est parfois trop compliqué pour être chanté par une assemblée. Leur style ne répond pas à tous les besoins musicaux d’une assemblée. Le chant est une action communautaire, et il faut veiller à ne pas exclure par les chants.
Demandons-nous pour qui nous chantons : pour être crédible auprès du monde ou pour faciliter l’expression de tous ceux qui sont présents ?
Quelles solutions proposes-tu concrètement aux Eglises pour avoir un répertoire de chants plus vaste, qui couvre tous les thèmes importants ?
Une assemblée devrait analyser et évaluer son répertoire de chants, pour savoir ce qui manque en fonction des thèmes bibliques, et selon notre confession de foi qui résume justement les thèmes importants. La confession de foi peut servir de guide dans le choix de chants.
Chanter différents types de chants s’apprend : comme on apprend à aimer les autres, il nous faut apprendre à aimer l’autre musicalement, à apprendre à chanter le chant de l’autre.
Il est bon que chaque assemblée ait son propre répertoire dans les faits, en fonction des personnes qui la composent et en fonction du contexte local.
En pratique, comme le font certaines assemblées, on peut créer un cahier avec des chants propres à l’assemblée, en plus des recueils utilisés. On peut puiser dans des styles différents : cantiques anciens, chants contemporains, chants de louange, d’adoration, de lamentation, de justice, de confession…, ainsi que ceux qui viennent d’autres horizons mondiaux. Les cantiques anciens sont importants, car ils nous aident à marcher de pair avec nos frères et sœurs qui ont chanté bien avant nous. Ces cantiques maintiennent en vie pour les générations suivantes le vaste répertoire de chants et musique qui existe depuis les origines de l’Eglise. Les nouveaux chants nous aident à vivre avec notre temps et ses mélodies et rythmes. Les chants de lamentation nous soulagent et nous encouragent dans les moments difficiles. Les chants de justice nous rappellent que Dieu est un Dieu juste et nous appelle à pratiquer la même justice entre nous et dans ce monde. Les chants préférés de l’assemblée locale aident à chanter dans son propre langage. Les chants d’une tradition d’Eglise forment et renforcent une identité ecclésiale. Les chants d’autres pays nous aident à comprendre que la foi chrétienne s’étend au-delà de nos frontières.
Peut-on rêver d’un culte idéal, qui combinerait spontanéité et préparation, chants anciens et chants nouveaux, intériorité et expressivité, place de la Bible et du Saint-Esprit, ressourcement et interpellation, communion fraternelle et envoi en mission, intensité de la présence de Dieu et engagement pour la paix et la justice… ? Si non, que faire ?
Oui, on peut en rêver, mais un tel culte aura lieu à la fin des temps, présidé par le Christ lui-même, comme le suggère le livre de l’Apocalypse. En attendant, nous sommes en chemin. Et s’il y a des frustrations, il nous faut apprendre la soumission mutuelle et le discernement commun. Parfois, il s’agit d’apprendre à aimer ce que l’on aime moins, mais qui est bon pour notre santé. Si je n’aime pas les épinards, je peux en manger quand même, car c’est bon pour la santé. Attention au culte soi-disant parfait qui me correspondrait parfaitement !
Propos recueillis par Michel Sommer
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