PHILIPPE GONZALEZ |
Art. paru dans Perspective,
mensuel de la Conférence mennonite suisse.
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Quel style de musique et quels chants pendant le culte ? La question est souvent délicate. Et ce n'est pas qu'un problème de génération, mais aussi de théologie. Philippe Gonzalez aborde ce sujet sensible avec réalisme.
Il nous arrive souvent, au cours de la semaine, de nous surprendre à chantonner les paroles d'un cantique interprété lors du culte dominical. À l'inverse, je doute que nous soyons nombreux à restituer de mémoire de longs extraits de ce qui a été prêché ce dimanche-là. Tout au plus aurons-nous retenu le texte biblique du jour et, dans les meilleurs cas, l'une ou l'autre idée. Après quelques mois, notre mémoire ne conservera que peu de choses du message, sauf s'il aura marqué un tournant décisif pour notre vie. À l'inverse, deux ou trois notes de mélodie suffisent pour que le cantique en question nous revienne à l'esprit, charriant son flot de sensations, de souvenirs et de sentiments.
MESSAGE PARLE OU CHANTE
Il existe bien des différences entre l'écoute d'une prédication et le chant. Contre toute attente, l'interprétation d'hymnes semble mieux adaptée à la transmission d'idées. Car, pour apprendre un cantique, il faut le répéter jusqu'à ce que sa mélodie nous soit familière. Au cours de ce processus, on aura répété ses paroles à plusieurs reprises. Une fois appris, l'hymne fera partie de notre répertoire. Même s'il est repris quelques fois dans l'année, le chant continuera à être interprété. Par comparaison, il est rare qu'un prédicateur répète une prédication, sauf s'il est invité à prêcher dans une autre Église.
Les différences ne s'arrêtent pas à la simple répétition. Il en va aussi de la façon dont le message est communiqué. Dans le cas du sermon, autrui me partage le fruit de sa méditation des Écritures. Le message provient de l'extérieur. Je le reçois dans une situation d'écoute plus ou moins passive. À l'inverse, lorsque j'interprète un chant, tout mon corps est sollicité : mes cordes vocales, mon souffle, mes membres. Plus important, c'est ma propre voix qui proclame les paroles du chant, comme si elles transitaient par mon intériorité, quand bien même un autre les aurait composées. On peut alors partir du principe que le cantique laissera une empreinte plus forte sur nous, parce que l'interprétation mobilise plus fortement notre expérience.
LA SPIRITUALITE
J'ai avancé quelques éléments pour comprendre pourquoi les cantiques nous engagent corps et esprit. Toutefois, rien n'a encore été dit des paroles interprétées ou du style musical retenu. Pour aller vite, disons que la combinaison entre un certain contenu théologique et des choix musicaux débouchera sur une spiritualité. Ainsi comprise, la spiritualité est une manière de traduire et d'exprimer des réalités spirituelles dans l'existence du croyant. La force du chant, c'est que cette transformation de vérités théologiques dans le vécu de l'interprète transite par le sentiment esthétique. Autrement dit, la spiritualité est l'accueil que l'on fait à des idées spirituelles dans son expérience sensible de croyant / interprète.
Le terme « spiritualité » se révèle d'autant plus adapté qu'il peut être mis en relation avec divers styles musicaux et de piété qui émaillent l'histoire de l'Église. Pensons aux liens entre le chant bénédictin et la vie monastique, entre le choral luthérien ou le psautier réformé et la Réformation, entre le gospel et la ferveur émancipatrice des Noirs étasuniens. Chacun de ces styles renvoie à une manière particulière de vivre et de concevoir le christianisme.
Des différences similaires se retrouvent dans nos communautés et s'expriment souvent en termes d'écarts entre les générations ou de clivages entre les sensibilités spirituelles. Ainsi, la spiritualité qui traverse Les ailes de la foi ou À toi la gloire plonge profondément ses racines dans le piétisme et les grands mouvements de réveil qui caractérisent la fin du 19e siècle. Quant aux J'aime l'Éternel, ils renvoient également à leur époque, le premier volume étant en phase avec les mouvements des Jesus People des années 1970, alors que les éditions suivantes témoignent des inflexions qu'ont pris la théologie et de la spiritualité charismatiques depuis les années 1990. Des Ailes de la foi au JEM 3, ce n'est pas simplement le nombre et la longueur des strophes qui ont changé, mais également la façon qu'on a d'exprimer – et de faire l'expérience – de Dieu, du Christ, de l'Église et du monde qui nous environne.
CRITERES UTILES
Sur le plan de la théologie, il s'agit de s'interroger sur le rapport entre ce que nous chantons et ce que nous proclamons à partir d'une compréhension anabaptiste de l'Évangile. Une telle interrogation n'a rien d'un chauvinisme. Il ne s'agit pas de valider tout ce qui émanerait de cercles mennonites et, à l'inverse, de refuser ce qui proviendrait d'autres confessions chrétiennes (catholique, orthodoxe, etc.). Deux critères me semblent centraux ici, des critères qui ne sont pas le monopole de l'anabaptisme, mais qui se trouvent en son centre. C'est d'abord la centralité d'un Christ paisible et pacificateur. C'est ensuite une conception de l'Église comme une communauté qui s'efforce de vivre et de témoigner de cette paix, malgré ses faiblesses, ses hypocrisies et ses imperfections. Nos cantiques invitent-ils à suivre ce Christ qui « nous appelle à former un même corps » ?
La culture dans laquelle nous vivons et que nous partageons avec nos contemporains est l'autre dimension importante. Car c'est dans des formes musicales concrètes, historiques, que nous exprimons les vérités spirituelles auxquelles nous adhérons. Là aussi, la réflexion est de mise. Il s'agit d'éprouver le type d'esthétique proposée, en particulier la façon dont elle contribue à me fonder comme sujet et dont elle me permet de me rapporter aux autres. Le format culturel retenu exacerbe-t-il mon narcissisme ou me met-il en relation avec autrui ?
Ainsi, le questionnement théologique doit nécessairement s'accompagner d'un dialogue critique avec la culture, afin d'éviter que notre façon d'exprimer la foi ne s'enferme dans la nostalgie d'un âge d'or révolu ou ne cède trop facilement aux sirènes de la Star Academy.